tutomberaspasplusbas

Salut M,

Il y a une semaine vers 11h30 du matin, ou peut-être 14h, je m'étais écroulé par terre.
Les pavés étaient tièdes et je ne discernais plus vraiment pour quelle raison je devrais être debout.
Un gentil monsieur a proposé d'appeler les urgences, sauf qu'il n'y a plus d'urgence quand on décide de s'effondrer là. Je ne pouvais pas creuser un trou dans le trottoir, m'enfoncer jusqu'au noyau de la Terre et fondre, alors c'était tout.

On dit "toucher le fond", mais finalement ça ne va pas plus loin que le sol sur lequel on marchait quelques minutes avant. Pas de quoi en faire une histoire.
Pourtant pendant cet instant, j'ai pensé des choses. Déjà, il faisait beau. Ensuite j'étais plutôt bien habillé, voir chic, ce qui ne me donne pas tout les droits mais presque. En tout cas, j'avais le droit de m'écrouler par terre sans que personne ne me regarde de travers.
Mon corps était devenu une vibration douce, je n'avais plus d'émotions, plus de questions, j'étais libre. Abattue, immobile et libre. Je ne portais plus la responsabilité d'exister. Plus besoin de courir dans tout les sens pour en trouver un. Plus besoin d'être humaine, j'étais le néant, comme il y a longtemps, dans le noir.

Je n'avais de contrôle sur rien et rien n'avait de contrôle sur moi. Si c'est cela toucher le fond, je voudrais bien le faire tous les jours...

Le problème, c'est qu'on doit se relever et c'est vraiment difficile. Poser un pied dans cette réalité semble absurde et marcher nous parait encore plus ridicule. Rien n'a changé.
On a touché le fond ET ALORS ? La pile de leçons à en tirer semble éternelle, le téléphone continue de sonner et on déteste toujours autant notre deuxième prénom.
Toucher le fond est plutôt simple, sinon il n'y aurait pas autant de gens qui le ferait. Le Fond est un endroit agréable, dénué de toute responsabilité administrative mais ce n'est certainement pas un trampoline.

Aucune impulsion ne se produit, RIEN ne donne envie de quitter cet état. C'est un appel du vide.
On a atteint un pique de souffrance émotionnelle et le reste semble dérisoire, mais quand même assez chiant pour avoir envie de creuser un trou et d'y rester.

Donc, je ne conseillerais à personne de toucher le fond. La remontée est longue, exténuante, triste, décourageante, et si comme moi, on a peu à faire des conventions sociales, on finit par regretter ce bout de trottoir tiède.

Profite des bonnes choses tant que tu les as autour de toi. N'attends pas de tout perdre pour t'en rendre compte,

Camille